L’investissement socialement responsable, ou la longue marche de l’extra-financier vers le financier

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A l’occasion du « Climate Finance Day » 2019, Finance Watch pointe du doigt les travaux législatifs à réaliser urgemment pour faire de la finance durable un outil permettant d’orienter effectivement le capital vers une économie durable.

L’investissement socialement responsable connaît aujourd’hui sans conteste une phase d’accélération. De pratique marginale il n’y a encore pas si longtemps, il est en passe de devenir la façon normale de pratiquer la gestion financière, tout au moins dans sa version allégée baptisée « intégration ESG » qui prend en compte, de façon généralement non contraignante, les critères extra-financiers que sont l’environnement, les questions sociales et la bonne gouvernance des entreprises.

L’accélération de l’histoire vers la prise en compte des critères extra-financiers par la gestion financière est la résultante de trois phénomènes : tout d’abord le travail effectué depuis plus de vingt ans par la communauté des spécialistes du sujet; ensuite une évolution de la réglementation ayant posé les conditions permettant l’évolution ; enfin une prise de conscience de plus en plus aigüe par la société de l’importance et de l’urgence des questions environnementales, climatiques et sociales.

En France, pays pionnier en la matière, le désormais fameux article 173 de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a indéniablement été un facteur d’accélération du mouvement en posant aux investisseurs une obligation d’information sur leur prise en compte des critères extra-financiers dans leur pratique de gestion.

Conforter le développement de l’investissement responsable

Si les volumes d’investissement dit responsable, vocable regroupant généralement l’ISR et l’intégration ESG, sont en train de devenir considérables (l’Association française de Gestion Financière les évaluait à 1450 milliards d’euros en France, soit près de 40 % des actifs gérés, à la fin de l’année 2018), trois points sont aujourd’hui essentiels pour conforter son développement :

  • S’assurer que la pratique reflète bien les intentions déclarées de prise en compte des critères ESG, autrement dit éviter le greenwashing, car il en va de la crédibilité de cette forme d’investissement.
  • Encourager une approche du métier d’investisseur à la fois qualitative et de long terme, seule capable d’orienter le capital vers une économie durable.
  • Mesurer son impact sur le monde réel, autrement dit sa capacité à allouer le capital à une économie durable et à le détourner des pans de l’économie qui ne le sont pas.

L’Union européenne, on le sait, développe un plan ambitieux sur la finance durable, notamment par le biais de ses règlements « disclosure » et « benchmarks » désormais adoptés et du règlement « taxonomie » encore en cours d’élaboration. Ces initiatives, ainsi que celles qui suivront (green bonds, ecolabel…), doivent être encouragées et menées à bien quelles que soient les difficultés de l’exercice.

Mais, au-delà de ces travaux, de nombreux chantiers restent à réaliser parmi lesquels trois sont d’une importance toute particulière si l’objectif est de faire de la finance durable un outil permettant d’orienter effectivement le capital vers une économie durable :

  • La mise à disposition de données extra-financières normalisées en provenance des entreprises. L’accès à ces données, indispensable pour permettre aux investisseurs de faire leur travail, passera nécessairement par une révision de la directive européenne sur le reporting extra-financier.
  • La prise en compte dans l’arsenal des superviseurs financiers du risque que le changement climatique fait peser sur la stabilité financière. Si la plupart des superviseurs et des gouverneurs de banques centrales reconnaissent désormais ce risque, aucun mesure n’a, à ce jour, été intégrée dans leur boîte à outils pour s’attaquer concrètement au problème.
  • L’intégration des mesures de durabilité dans la comptabilité afin que la notion même de durabilité puisse être prise en compte de façon normale par les financiers et les investisseurs. Mais si la comptabilité constitue probablement le moyen le plus efficace pour permettre aux financiers de faire leur travail, force est de reconnaître que cette piste mettra dans le meilleur des cas de nombreuses années à aboutir.

Arrêter d’accélérer la course vers le désastre

La réglementation européenne en cours d’élaboration se concentre avec pertinence à la fois sur les activités vertes, les activités permettant le « verdissement » de l’économie et celles en voie de « verdissement ». Cette démarche est indispensable mais, pour autant, elle ne sera pas suffisante pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement climatique ou la dégradation de la biodiversité avant que des niveaux irréparables aient été atteints.

En effet, gérer l’évolution de la partie brune de l’économie existante en reconnaissant le défi qui consiste à la verdir le plus rapidement possible est une chose, mais arrêter d’accroître simultanément le « brunissement » de l’économie en est une autre. Par exemple, les centaines de milliards de dollars investis annuellement dans l’exploration pétrolière et gazière correspondent, par construction, à un accroissement de la capacité mondiale d’émission de CO2. Lorsque l’on sait le temps nécessaire pour transformer un investissement d’exploration d’hydrocarbure en production  effective et que l’on rapproche ce temps des 10 à 15 années de budget carbone dont dispose encore l’humanité avant d’atteindre des niveaux de réchauffement climatique aux conséquences catastrophiques, on réalise l’inanité de ces nouveaux investissements qui ne pourront avoir comme effet que d’accélérer encore le réchauffement climatique.   Le même constat pourrait être réalisé pour le développement encore massif de nouvelles centrales à charbon (la capacité supplémentaire actuellement en construction ou planifiée à l’échelle mondiale est de près de 600 gigawatts). Si la finance veut se dire réellement responsable, il est indispensable qu’elle arrête sans délai son soutien à cet accroissement du « brunissement » de l’économie. Au passage, il est également urgent que les superviseurs financiers s’emparent du sujet dans la mesure où ces investissements supplémentaires accroissent le risque d’instabilité financière lié au changement climatique.

Le jour où l’extra-financier deviendra financier

La réalisation du fait que l’économie ne peut, par construction, pas se développer de façon non durable nous mène à la conclusion que les critères dits extra-financiers sont en fait éminemment financiers. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’internaliser des externalités à la façon pigouvienne, mais de considérer que les coûts environnementaux, climatiques ou sociaux font partie intégrante des coûts de production des entreprises : la notion même d’externalité perd de son sens.

Compte-tenu de l’approche normale du métier de financier qui consiste à analyser le couple risque/rendement des investissements considérés, la finance sera probablement réellement durable le jour où la notion de critère extra-financier aura disparu et que l’extra-financier aura été fondu dans le financier.

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